A l’ombre du manguier, Gisèle s’est arrêtée. Avec son gros ventre arrondi, elle ne pouvait pas courir le vidé, ni marcher des kilomètres pour rendre visite à sa voisine, sa meilleure copine, la charmante Léonie.
Et pourtant, chaque jour il lui fallait bêcher, arroser, débroussailler, replanter et ce n’était pas une mince affaire avec ce ventre qui chaque jour prenait un peu plus de place.
Elle habitait la commune de Bwa Siré, à la croisée de la petite chapelle Ste Marie.
Elle avait hérité de la maison de ses parents, décédés quelques années auparavant.
On la regardait à peine, on lui faisait des misères car on jalousait ce terrain tant convoité. Les tatis, soeurs de sa mère, ne l’avaient de toutes façons jamais aimée. Elle ne savait pas vraiment pourquoi. Etait-ce à cause de la couleur de sa peau trop claire, parce qu’elle était toujours joyeuse ou parce qu’elle n’en avait que faire du regard des autres ?
Le mystère resterait sans doute entier.
Elle faisait avec. Elle n’écoutait pas les ragots, mais ça l’attristait un peu.
Elle était revenue vivre à la campagne avec son amoureux.
Il n’était pas très présent parce qu’il travaillait beaucoup. Il n’était pas très causant sur ce qu’il avait à l’intérieur de son coeur. Elle ne lui en voulait pas. Elle savait qu’il n’avait pas été très heureux. Son père frappait sa mère et hurlait sur ses enfants. Il en voulait à celle-ci de ne pas être partie et de les avoir laissés lui et ses frères et soeurs subir toute cette violence. Alors son Théophile, ça l’avait un peu chamboulé et maintenant il avait dû mal à s’ouvrir et à faire confiance. Elle ne voulait pas l’accabler plus que ce qu’il ne l’avait été.
Quand elle s’est retrouvée enceinte, elle a alors appréhendé sa réaction. A son grand étonnement, il a écarquillé les yeux et il a sauté en l’air. Elle ne l’avait jamais vu si heureux. C’était clair que pour lui, être père voulait dire beaucoup.
La date d’arrivée de la petite se rapprochait. Quelques jours encore.
Prête à laisser le manguier, Gisèle s’est levée et c’est alors qu’elle a senti que ça venait.
Les eaux ont commencé à se répandre.
Mais comment allait-elle faire ?
Son Théophile était sorti faire une course. Elle a respiré calmement, elle a prié pour qu’il arrive rapidement. Elle s’est assise. Elle s’est concentrée sur les bruits environnants : le colibri qui faisait la fête, les moutons qui bêlaient, les coqs qui se répondaient. Et elle a alors entendu dans le lointain, la voiture de son amoureux arriver.
Elle a sifflé. C’était leur signe de reconnaissance.
Il a couru aussi vite qu’il pouvait. Il était déjà trop tard pour aller à l’hôpital. Il a appelé la sage-femme pour lui demander conseil. Il a mis le haut-parleur du téléphone, il a suivi à la lettre ses recommandations. De son côté, la sage-femme a sauté dans sa voiture pour venir les retrouver au plus vite.
Théophile c’est un gars sensible et très courageux. Alors, sans se démonter il a fait comme on lui disait.
Et c’est ainsi que la petite tête toute fripée de sa fille est apparue.
Ils n’avaient pas encore vraiment choisi de prénom pour la petite, ils n’arrivaient pas à s’accorder.
Alors là, comme par enchantement et magie, ça s’est imposé.
C’est ainsi que le 8 mars 2022 est née la divine « Lumineuse ». Un prénom pour marquer ce jour particulier.
Il pensa alors à sa propre mère. Aucune femme ne devrait être bafouée dans sa dignité. Et c’est ainsi que Théophile se jura d’élever sa fille, pour que jamais, elle ne vive le calvaire de sa mère et qu’elle sache qu’en tant que femme, elle n’avait pas à subir sa vie et qu’on devait la respecter.
Longue vie à tous les trois.
Au nom de la liberté d’exister comme bon nous semble !